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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/127

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foule servile et nulle, et quant aux hommes, en petit
nombre, qui, quelque part que le hasard les ait jeté, s’y

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sont conservés à peu près tels qu’ils eussent été ailleurs, à
la vérité ils n’ont pas intérieurement assujetti leur être aux
autres êtres placés près d’eux ; mais leur vie extérieure ne

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pouvoit être indépendante | des climats et des événemens,
et tu ne verrois pas encore en eux l’homme uniquement

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homme.
La multitude des soins de la vie soutient facilement
ceux à qui tout suffit et que tout passionne ; mais il faut
des sensations profondes à qui peut sentir profondément.
Ces hommes que la nature entraîne si puissamment, et

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que l’art laisse insensible, éprouvent souvent cet état de
suspension et de léthargie ou tous les objets se décolorent,
toutes les facultés s’éteignent, et la vie ne paroît plus
qu’une pénible vanité. Homme de la nature cherche alors
dans l’action des objets inanimés l’occasion de ce mouvement

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intérieur que tu ne peux plus produire [S 1]. C’est en cela

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surtout que tu | éprouveras combien nos villes sont tristes
et insuffisantes à ces besoins auxquels on n’a pas songé,
  1. Nous sommes modifiés par les sensations que nous recevons
    maintenant des objets extérieurs, et par les traces conservées des
    sensations reçues…… Quand nous n’éprouvons que ce qui est,
    il n’y a pas d’opposition entre nous et les choses, entre nous-
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    mêmes sous un rapport, et nous-mêmes sous un autre rapport ;
    alors nous ne sommes pas malheureux de cette sorte de discordance
    fléau de l’homme social. Lorsque les organes de la pensée
    ont contracté l’habitude d’une perpétuelle activité, ils la
    conservent même dans le repos des autres organes. L’ennui est le
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    sentiment de cette opposition entre cette agitation et ce repos
    partiels. L’inaction ne produit pas l’ennui lorsque la tête se repose
    avec les bras ; mais la nôtre, toujours agitée, nous fait éprouver,
    dans le repos de ce qui nous environne, un vide sinistre ou une
    résistance pénible, dès que nous cessons un mouvement corporel
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    assez considérable pour forcer les organes de la pensée à se
    modifier selon les autres organes dans une harmonie qui fait le
    bonheur.