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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/128

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parce qu’ils ne sont pas ceux de l’existence, mais ceux du
bonheur [S 1]. C’est dans les lieux sauvages que le solitaire

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reçoit de l’inanimé même une facile énergie ; vois-le sur
cette rive dans l’ombre des vallées. Assis sur le tronc
mousseux du sapin renversé, il considère cette tige superbe
que les ans ont nourrie, et que les ans ont stérilisée ; et
ces plantes nombreuses étouffées sous sa vaste ruine, et la

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vaine puissance de ses branches ensevelies sous les eaux
tranquilles qu’elles protégèrent trois siècles de leur orgueilleux
ombrage. Il écoute le vent de la montagne qui descend
s’engouffrer dans la forêt ténébreuse, et s’efforce par intervalle
de l’agiter dans sa profondeur. Il suit dans sa chûte

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la feuille qui | se détache des hêtres ; un souffle invisible
la porte sur l’onde agitée : c’est l’instant imprévu où la
multitude animée, dont elle étoit l’aliment et la patrie,
doit finir dans l’abîme des eaux ses destinées éphémères.
Il observe ce roc immobile dont vingt siècles ont

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commencé l’irrésistible destruction. Les eaux ont fatigué sa
base de leurs perpétuelles ondulations ; l’effort de l’air a
desséché son front ruineux : dans ses fentes imperceptibles
le lichen et la mousse se sont introduits pour le dévorer
en silence ; et les racines tortueuses d’un yf encore foible


[JM 1]

  1. Chose d’un ordre absolument secondaire, et auquel les politiques
    n’abaisseront point leurs grandes vues.
  1. C, XIe Rêv., p. 66-67 = l. 314-341. – 314-6. Venez dans les lieux sauvages. Au milieu du mouvement des êtres inanimés, l’énergie est plus facile. Voyez le solitaire, sur cette rive, – 316-7. tronc du – 317. il voit – 318-9. stérilisée ; il voit les plantes – 319. sous cette – 320. ces branches – 321-2. tranquilles que leur ombrage couvrit durant trois siècles. Il écoute – 322-3. descend dans – 323-5. et qui s’efforce d’en agiter les profondeurs. Il suit la feuille – 325. un souffle imprévu – 326-7. sur les ondes ; c’est l’instant où la foule animée dont – 328. sur l’abîme – 330-1. commencé la destruction inévitable. Les perpétuelles ondulations des eaux en ont fatigué la base ; l’effort – 332. ce front – les fentes – 333-4. le lichen s’introduit pour détruire en silence – 334. if –