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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/152

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Le plaisir est vain, il passe rapidement, les regrets et
la douleur lui succèdent. Parce que nous ne savons pas
le fixer, le prolonger sur la vie ; parce que, voulant

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excessivement, nous | croyons ne rien obtenir même en
obtenant beaucoup ; parce que, toujours hors de la nature,

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nous cherchons des joies extrêmes, et nous oublions que
la félicité n’est point une succession d’éclairs rapides,
mais une lumière douce et durable.
Les plaisirs impétueux conviennent bien mal à l’homme
des grandes sociétés, qui ne vit pas seulement dans le

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présent, mais bien plus encore dans l’avenir et le passé.
Leur brillante séduction, avec ses inégalités, ses intervalles
et ses craintes, produit plus encore de dégoûts et d’anxiétés
que de desirs et de jouissances. Cette avide inquiétude
nous captivoit par ses promesses irrésistibles ; le feu passe,

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les facultés se consument, l’espoir reste infécond dans le
cœur dévoré d’une stérile ardeur, et l’existence elle-même
n’est qu’un poids pénible à qui la porte en vain. Des
jouissances tranquilles, mais continues, amènent le calme,
la sécurité. Ce paisible bonheur ne séduit pas d’abord, et

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ne fait pas d’enthousiastes ; il promet moins, mais il ne
trompe jamais. Il s’accroît et se perpétue, nourri de ses
propres forces, et se reposant sur son expérience ; mais
les excès de joie qui nous entraînent si vivement, fuient

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avec une égale | rapidité, et tous ces plaisirs bruyans sont

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le prestige et non l’emploi de la vie.
Homme d’un jour, placé par l’éternelle nécessité sous
la loi de la douleur et du plaisir, ta seule fin morale est
le bonheur, et ton seul devoir le moyen convenu pour le


    539-40. toujours hors des voies simples, et cherchant des jouissances extrêmes dans l’imagination, nous oublions – 541-2. point dans les folies de la joie, mais dans la permanence du contentement.