Aller au contenu

Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
veillance les allège et les rend tolérables. Souffrant, confie
tes peines si tu ne veux le désespoir ; jouissant, communique
tes joies si tu veux en connoître d’indicibles. Dans
l’enthousiasme de la volupté comme sous le poids du

590

malheur, toujours entraîné foible et dépendant, ô homme
appuie-toi sur ton frère. La nature vous unit dans la

[171]

conformité [S 1] de vos sensa|tions, elle vous protège l’un par
l’autre ; mais vous vous déchirez pour le stérile honneur
de la combattre, et vous trouvez vos plus affreux malheurs

595

dans le bonheur exclusif que vous avez si imprudemment
cherché. Elle vous disoit à tous : aime, console, jouis et
fais jouir ; jouis dans toi-même et dans tout ce qui
ressemble à toi. Elles passeront les lois atroces et les
superstitions sanguinaires ; ils passeront les stériles efforts des

600

vertus austères et les écarts effrénés, plaisirs de la servitude ;
mais la loi primitive ne périra jamais. Un jour
peut-être le bonheur naîtra de son précepte immuable,
nos calamités s’effaceront dans l’oubli des erreurs qui la
combattent ; les momens rapides, que nous appelons les



[JM 1]

    chercher le bien des autres, nous fassions notre propre mal ? quel
    5
    homme aura de telles vertus si jamais il raisonne ses devoirs et
    ses besoins ? et quel ordre moral que celui où l’on ne sauroit être
    qu’un méchant, ou une dupe, ou un fou ?

  1. Dans ce rapport général les différences individuelles sont
    même beaucoup moins grandes que l’on ne pense. Parmi nous
    cette différence est due presqu’entière à la prodigieuse diversité
    d’opinions et de circonstances.
  1. C, XXIVe Rêv., p. 156 = l. 591-608. – 591-3. La nature nous unissoit
    par la conformité des sensations mais nous nous déchirons pour – 594-6. et nous trouvons nos maux les plus irremédiables dans ces avantages exclusifs que nous avons cherchés si impudemment [sic]. La nature disoit à tout être social : Aime – 597. et dans ce – 598-600. à toi. Un jour elles ne seront plus les lois absurdes, et les superstitions haineuses ; ils ne seront plus les stériles préceptes des vertus – 601-8. servitude. La loi primitive règnera alors ; car la vraie morale ne périra jamais. Ces momens que nous nommons les siècles de civilisation, se