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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/175

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Le commerce comme le luxe, et parce qu’il produit le

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luxe, jette au loin un éclat impo|sant : l’on admire et l’on
n’examine plus. Nous vantons l’opulence toujours ostensible

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et nous taisons la misère que tant de causes cachent
et dissimulent. Jamais peuple eut-il des individus très-
riches sans avoir d’innombrables malheureux [S 1] ? Des palais
fastueux s’élèvent-ils dans des campagnes abondantes et
libres ? Si vous pesez impartialement, d’un côté ces jouissances

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trompeuses que le commerce réunit, ces avantages
si plaisamment vantés de l’industrie qu’il donne ; de
l’autre, les travaux qu’il coûte, les hommes qu’il sacrifie,
les contrées qu’il dévaste, l’esclavage qu’il autorise, les
bonnes institutions qu’il expulse, la corruption qu’il produit,

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tous les malheureux qu’il fait et qu’il prépare ;
pensez-vous que cette balance encore inconnue conserve un
moment d’équilibre sous ce poids désastreux ?

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C’est, dit Raynal, un inconvénient inévi|table chez un
peuple commerçant, libre ou non, il vient à n’aimer, à

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n’estimer que les, richesses. Je crois en effet ce résultat
absolument inévitable ; mais je le regarde non comme un
inconvénient dont quelques avantages pourroient dédommager,
mais comme un fléau le plus grand de tous et le
plus anti-social. Non-seulement un peuple commerçant,

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ou un peuple riche qui, selon moi, est un peuple pauvre,
vient nécessairement à aimer les richesses ; mais même
  1. S’il en étoit un qui parvînt à se défendre de cette inévitable
    compensation en la faisant souffrir à d’autres peuples, ce seroit
    un égal fléau social. De plus, les seuls moyens qui pourroient
    l’y soustraire, feroient de ce peuple le dernier des peuples. L’on
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    peut pressentir en Hollande quelles mœurs en résulteroient et
    quel misérable avantage ce doit être que de vivre d’une telle
    industrie.