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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/177

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n’a pas ce qu’il faut à ses besoins ; le riche est misé|rable
parce qu’il n’a pas ce qu’il faut à ses desirs ; et quelques
étourdis, en visitant les palais de la capitale, trouvent seuls
la nation opulente et heureuse.

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Là où les hommes sont encore neufs, les mœurs naturelles,
et toutes choses dans cette première simplicité qui
permet aux bonnes institutions de s’établir ou de se maintenir,
là le commerce doit être évité comme un fléau
corrupteur, une habitude de vénalité, qui fait un misérable

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trafic de toutes les affections sociales, et de toutes
les choses de la vie. Lorsque l’esprit de négoce est devenu
l’esprit public, lorsque l’on calcule le prix de chaque chose,
lorsque les talens sont payés, et que l’on sait ce que
valent les vertus et les services, tous sont marchands et

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nul n’est homme. Cherchera-t-on de la modération chez
ceux dont l’état est d’acquérir, de l’union chez ceux dont
les intérêts sont d’une nature opposée, de la probité chez
des hommes vendus, une ame libre parmi celles que la
passion du gain asservit, toutes les affections nobles et

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paisibles parmi les passions envieuses et immodérées, et
le bonheur public au sein des vices et de la misère des
esclaves.

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Toute nation forcée au commerce par l’ha|bitude des
besoins qu’elle s’est fait, par la nécessité des choses, ou

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par sa propre déviation, tenteroit vainement de se
régénérer ; elle ne peut attendre qu’une amélioration partielle
et assez illusoire ; il lui faut une législation ordinaire, une
police et des maîtres.
Et qu’on ne dise pas qu’un grand peuple ne pourroit

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subsister sans commerce ; car, pourquoi faut-il qu’un grand
peuple change ce qui lui est nécessaire pour ce qui lui
est inutile ; ou un superflu qu’il falloit négliger, pour un
superflu qu’il attire à grands frais.