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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/182

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et dans des tems si disproportionnés, sans même que

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l’une participe ou résulte de l’autre. Tout ce système porte
un caractère de contradiction et d’inconséquence ; il appartient
bien mieux aux écarts d’un être circonscrit qui n’imagine
que des rapports isolés, qu’aux conceptions harmoniques
de l’ordre universel.

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J’ai posé comme un principe reçu, que je n’ai point en
moi une conviction réelle de la partie spirituelle de mon
être ; et ce principe est prouvé par l’histoire des opinions

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humaines ; car nul siècle, nul peuple n’a pu douter | de
l’existence des corps, mise en problème par un petit

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nombre de sophistes qu’ont écouté seulement ceux qui se
plaisoient à ces étonnantes subtilités ; mais l’antiquité
toute entière, barbare ou civilisée, ignorante ou savante,
simple ou profonde [S 1], croyoit la matérialité des esprits. Si
l’on n’eût fait descendre du ciel l’opinion naissante de la

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spiritualité pure ; si on ne l’eût donné comme une vérité
éternelle et sacrée, elle fût restée dans la classe nombreuse
des hypothèses hasardées que l’enthousiasme soutient un
jour, mais qu’une raison impartiale ne juge que comme
des rêves philosophiques.

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La pensée, dit-on, ne peut être matérielle parce qu’elle
ne peut avoir les attributs des corps, être étendue, divisible,

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et que nous | concevons au contraire qu’elle est une
et simple. Mais il me semble que l’on ne prouve rien par
là ; la pensée n’est pas l’ame ; elle n’est point non plus
  1. Quelques modernes ont voulu s’autoriser du sentiment de
    la sage antiquité comme d’un fait très-important à l’appui de leur
    système ; mais leurs efforts mêmes ont prouvé qu’il étoit au moins
    douteux : et des recherches plus judicieuses et faites sans une
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    prévention aveugle ou insidieuse, ont convaincu que Platon même
    et les docteurs vantés des premiers âges du christianisme,
    n’entendoient par esprit qu’une matière subtile, et que l’incorporel,
    selon eux, n’étoit nullement immatériel. Voyez Bayle,
    d’Argens, etc.