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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/183

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une substance effective, un être à part. L’ame est le principe
quelconque qui anime le corps, et certes, ce principe
peut être matériel dans l’homme qui respire, comme
dans l’huître qui s’ouvre, et le lys qui végète. La pensée
est un résultat de nos sensations, un mode, une faculté,

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comme la couleur [S 1] d’une tulipe, la gravitation d’une
planète. Pourquoi ce résultat simple n’appartiendroit-il
pas à un être composé ? La tendance, la force inconnue
que vous nommez gravitation, a-t-elle une forme, des
couleurs, est-elle divisible ? ou parce qu’elle n’a point

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l’essence d’un être matériel, est-elle un esprit pur et
indestructible ? Elle n’est rien de tout cela ; elle est un
être métaphysique, une propriété ; elle n’a pas une
existence propre.
Comment expliquer, comment concevoir, comment

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croire même possible l’action de la matière sur l’esprit et

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de l’esprit sur la matière ? | Dans ce système il faut se
taire ou admettre le rêve de Leibnitz ; et qu’est-ce qu’un
système que rien ne prouve, que rien n’autorise dans la
nature, et qui a de si invincibles difficultés que l’on ne

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peut même essayer de les éluder, si l’on ne veut recourir
à l’hypothèse absolument gratuite de l’harmonie préétablie,
pour couper ce nœud que nulle subtilité ne promet de
défaire ?
Si nous trouvons en nous quelque répugnance [S 2] à

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croire l’ame matérielle, ne seroit-ce point, en partie,
parce que nous avons de la matière une idée trop
circonscrite et fausse ? Nous la croyons vulgairement une
  1. C’est-à-dire, la disposition propre à réfléchir tel rayon de
    lumière. Cette disposition est-elle un être effectif ?
  2. Et l’habitude d’une opinion contraire suffirait pour nous
    donner sur cet objet la répugnance du préjugé contre les raisons
    qui le veulent détromper ; mais cette persuasion a d’autres causes
    non moins naturelles.