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PRÉLIMINAIRES

ment direct, libre aussi du joug des passions, je n’ai pu jouir de ma stérile indépendance.

En abandonnant pour un tems l’exécution entière de l’ouvrage le plus important et le plus nécessaire, je ne 70 changerai point d’objet. Je n’ai qu’un but et n’en puis avoir d’autre.

Dans un travail moins suivi, plus vague, plus convenable à l’importune nullité de mes heures, je m’occuperai toujours de combattre les erreurs dangereuses, de dévoiler 75 les progrès séducteurs de notre déviation, et de chercher quelles institutions peuvent convenir à l’homme social de la nature ; c’est-à-dire, quelle est, des formes possibles à l’homme, la plus facile et la plus heureuse.

Je ne me suis jamais dissimulé combien un pareil 80 dessein étoit au-dessus de mes moyens, et peut-être du génie[vij] d’un homme. Que l’on ne m’accuse point d’être le jouet des prestiges de la vie en méprisant ses vanités. L’espoir de servir le genre humain n’aura été pour moi qu’une illusion sans doute ; mais l’illusion est nécessaire 85 à la vie, et celle-là seule restoit à la mienne : voilà ma réponse. Il faudroit trop long-tems parler de moi pour l’expliquer à ceux qui n’entendront pas d’abord tout ce qu’elle contient.

Je ne fais qu’essayer foiblement mes premiers pas à 90 l’entrée de la carrière que je voulois parcourir ; et je l’aurois abandonné tout à fait, si je m’étois arrêté davantage à la considération de tout ce qui me manque pour l’entreprendre………………… Cependant, c’est avec ces craintes pusillanimes que 95 tout cède au torrent, que tout s’endort sous le joug. Emporté par sa passion, celui qui travaille pour lui-même

[JM 1]

  1. A. – 67. de mon indépendance – 82. des vanités de la vie – ses prestiges.