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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/234

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SEIZIÈME RÊVERIE

Cette inquiétude de l’homme qui le porte à vouloir
tout connoître, est sans doute un des maux les plus
funestes de son espèce ; mais je ne saurois le croire

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irrémédiable. Je ne pense point que ses misères soient
nécessaires, que ses vices soient dans sa nature, que ses malheurs
soient des conséquences directes de l’ordre des choses.
Nulle opinion ne me paroît plus hasardée, nul système
plus dur à la fois et plus funeste. Chaque considération

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sur l’homme me ramène à cette erreur sinistre ; je trouve
toujours à combattre son principe erroné ou ses conséquences
dangereuses ; et je suis encore à concevoir comment
on peut dire, en voyant l’homme si égaré et si
misérable, la nature l’a fait ainsi ; et comment, en méditant

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sur tant de maux, l’on peut conclure | froidement
que toute recherche pour améliorer son sort n’est qu’un
rêve inutile. Conclusion désespérante d’une législation
stérile et orgueilleuse ! parce que vous n’avez su nous
rendre bons, vous affirmez que nous ne pouvons l’être ;

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vous nous calomniez pour vous justifier ; vous attribuez
à la nature les vices de vos institutions ; en irritant nos
passions, vous niez qu’elles puissent être réprimées quand
vous avez altéré la nature, vous dites, voilà ses lois ; en nous
façonnant pour vos vues secrètes, vous nous accusez de

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ne pouvoir être formés au bien général ; vous nous
montrez les peuples dociles et malheureux, et vous nous
dites, ils sont faits pour dépendre et souffrir ; vous nous