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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/241

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DIX-SEPTIÈME RÊVERIE

S’il m’étoit donné de déterminer mon sort, de choisir
entre les possibles de la vie pour me composer une félicité
réelle avec moins d’effort que les hommes n’en mettent

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à imaginer de nouvelles misères ; non, je ne vous envierois
pas, tristes grandeurs, richesses inutiles, vanités des
plaisirs. De trop vastes possessions absorberoient mes
heures dans l’importunité de leurs soins ; comment
seroient-elles des biens, je dépendrais d’elles ? Voudrois-

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je tenir en mes mains la chaîne fastueuse du pouvoir ;
c’est sur moi que peseroit son plus grand effort. Livrerois-je
mes jours au délire trompeur de la volupté ; elle
efface la jouissance actuelle par l’illusion d’une attente
plus grande ; dans l’inquiétude d’un desir plus ardent, elle

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fait mépriser un desir satisfait ; et détruit tout ce qu’elle

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laisse essayer, en | promettant ce qu’elle ne peut produire.
Voudrois-je ainsi consumer en un jour l’aliment de ma
vie, et perdre mon être dans l’irrémédiable satiété ? non,
je ne vous chercherois pas, séductions funestes, vanités

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périssables. Cependant je voudrois jouir, mais du plaisir
qui ne se flétrit pas, de celui qui soutient la vie et qui
dure comme elle. Je voudrois du pouvoir, celui d’arracher
quelques hommes à l’oppression morale, et de les
maintenir heureux sous leurs propres lois. Si mon nom

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devoit survivre à mes tranquilles années, je voudrois qu’il
fût chéri des infortunés, et qu’il fût cité chez les amis des
hommes ; je voudrois que ma mémoire rappelât des
souvenirs heureux, qu’elle attachât mes enfans aux vertus