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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/260

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toujours conservées et celles de l’avenir toujours pressenties
occupent nos facultés de ce qui est éloigné ou imaginaire, et nous
ne vivons presque jamais dans le moment actuel ; ainsi toujours
autres que ce que nous devrions être, nous perdons notre vie.
Il importe que la sensation actuelle soit supérieure à toute

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autre ; il importe encore qu’elle soit convenable à notre nature.
Telle étoit la première disposition des choses : nos maux viennent
de nous en être éloignés ; il est des moyens de nous en rapprocher,
soit directement, soit indirectement.
Des effets des fermentés, et de ceux de la vraie philosophie.

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Les fermentés nous font rétrograder vers l’état le plus convenable
à notre être, mais instantanément et d’une manière destructive :

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or le bonheur | ne consiste que dans la continuité de bien-être,
l’exemption de douleur. C’est donc à la philosophie qu’il faut
recourir ; elle nous apprend à vivre dans le présent, et à nous y

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modifier d’une manière propre à notre nature.
Des occupations commandées peuvent suffire à beaucoup
d’hommes contre une partie des maux factices. Mais il ne reste
que la philosophie à ceux qui ont le double malheur d’être éloignés
de la première simplicité, et d’être dans le cours actuel des

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choses, exempts de travail, de besoins et d’ignorance.
Discordance entre l’œuvre des hommes et l’œuvre universelle.
Elle n’est sensible que pour ceux dont l’esprit atteint les limites
de l’institution humaine.
La philosophie, en nous faisant voir universellement et également,

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nous apprend à choisir et à rejeter selon nos vrais besoins,
et ainsi supplée, quoiqu’imparfaitement, aux moyens primitifs de
n’éprouver que ce qui est convenable à notre nature.
Du vrai philosophe. De la vraie philosophie. Elle convient
réellement à peu d’hommes. Il ne faut point s’arrêter dans la

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recherche du bon et du vrai. Quand on a mal entendu la
philosophie ou que l’on a abusé d’elle, le vulgaire en conclut qu’elle
est inutile ou funeste au bien public.
La vraie philosophie ne sauroit nuire aux hommes ; cependant
ses lois ont quelque chose de vain tout est nécessaire et

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irrésistible ; et, comme elle donne le sentiment de cette vérité, elle
ne peut satisfaire aussi pleinement que le mobile primitif de la
sensation présente.