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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/262

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SOMMAIRE

DE LA NEUVIÈME RÊVERIE


Si l’homme est né bon ou méchant. De l’extrême imperfection de
notre morale ; des causes qui s’opposent à son avancement, ou

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plutôt qui l’empêchent d’abandonner les voies sur lesquelles elle
s’est égarée, et de rétrograder pour se mettre dans sa direction
naturelle. L’homme n’est point bon, il n’est point méchant, il est
homme. S’il est bon ce n’est point dans notre sens ; il ne peut
être bon que relativement ; sa bonté ou sa perfection seroit dans

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l’accord entre son espèce et les autres parties de l’univers.
Dans l’alternative de suivre la nature ou de la forcer à d’autres
lois, on conçoit à peine que l’on ait pu entreprendre de détourner
le cours universel des choses pour lui faire prendre la direction
indiquée par quelques animalcules en délire. Du pouvoir limité de

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nos institutions même sur l’homme individuel. De la complication
de causes dans tous les effets naturels.

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L’éducation sera essentiellement mauvaise par-tout où elle
combattra la nature, elle le sera relativement toutes les fois qu’elle
ne s’accordera point avec tous les moyens physiques ou moraux

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qui tendent comme elle à modifier l’homme. L’opposition entre
nos besoins et nos préceptes, nos usages et nos lois, fait des
devoirs et de toute la conduite de la vie un ténébreux chaos
où le méchant audacieux surnage seul, mais où l’homme de
bien, dans son incertitude, est toujours englouti.

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Nos maux sont les fruits de nos erreurs et non d’une
détermination originelle. L’opposition entre nos affections et nos devoirs
a entraîné, et comme nécessité, l’imposture ; mais l’examen vient
enfin abattre ce vain travail fondé sur le mensonge. Le système
de répression n’étoit point celui qui convenoit à l’homme. Au

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lieu d’opposer à ses impétueux desirs des barrières toujours
opprimantes et jamais insurmontables, il falloit le retenir en arrière et
l’attacher par un penchant contraire, dans ces mêmes bornes que
les dégoûts seuls l’excitoient à franchir.
Le desir de son bien-être est le seul mobile intérieur d’un être

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animé. C’est l’extension de nos besoins qui a produit toutes les
chimères oppressives. Pour gouverner les hommes sans les rendre
heureux, il falloit bien les tromper. Langage qu’employa l’imposture.
Comment l’homme malgré sa foiblesse vint pourtant à
préférer les vertus difficiles aux habitudes heureuses. Comment