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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/34

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fondeur des deux, ni vivre un jour sans calculer la succession
des siècles ? N’ai-je reçu des conceptions ineffables
que pour m’irriter de mon néant, et des espérances

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immortelles que pour abhorrer l’heure de ma
destruction ?
De cette étonnante élévation, d’où j’observe l’essence
des êtres et juge la nature, quelle force irrésistible me
précipitera dans l’éternel néant ? L’anéantissement est

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contradictoire…… mais l’immortalité est impossible.
Ainsi se combat et s’égare la raison humaine dans ses
assertions téméraires.

[26]

Ô profondeur vraiment sinistre, tu appartiens à la
dissolution mais le renouvellement ne peut te reproduire !

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Tu as vécu, tu as senti, tu as pensé durant un jour rapide,
pour ne plus penser, ne plus sentir jamais… jamais. Cet
univers s’épuise et s’alimente, se dévore et se renouvelle ;
il subsiste toujours vieilli et toujours renaissant mais toi,
tu ne renaîtras pas. Les tems s’écouleront incalculables,

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une seule heure ne te sera pas donnée. Des siècles plus
heureux consoleront l’humanité ; tu ne verras pas ces
siècles plus heureux. La nature te devient étrangère, tu
ne l’admireras plus, tu ne l’entendras plus. Ce soleil se
levera, tu ne le verras pas ; la terre fleurira, tu ne le sauras

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pas. Ce chêne, déjà vieux quand tu naquis, ranimera
ses rameaux séculaires ; mais son ombrage rajeuni s’étendra
sur ta tombe. Celle que tu aimois… elle t’appelle ;


    120. pour aspirer à l’heure – 122. j’observe et juge – 124-8. néant ? Profondeur – J’appartiens – 129-30. me reproduire. J’ai vécu, j’ai senti, j’ai pensé durant un jour, pour – 131. sentir… jamais. Cet – 133-4. mais moi je ne renaîtrai pas. Les temps – 135. me sera – 136. je ne verrai – 137-8. heureux. Ce soleil – 139. je ne le verrai je ne le saurai – 140. je naquis – 141. mais l’ombrage – 142-54. ma tombe. *Homme trompé.