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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/73

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l’habitude nous persuade qu’ils sont devenus nécessaires ;
mais dans l’été, nous reprenons quelque chose de notre
indépendance, nos regrets s’éveillent alors. En admirant,
nous sentons ce que nous avons perdu, en jouissant nous

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souffrons. C’est alors que les feux de l’air, le roulement

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des eaux, la paix des om|brages, l’abondance des fruits,
l’aspect d’une contrée aimable et majestueuse, que tout ce
qui nous plaît et nous enchante, nous opprime et nous
attriste. Alors les chants d’une voix lointaine nous accablent

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d’un sentiment indéfinissable de nos pertes, et de je ne sais
quel souvenir confus de ce qui ne fut jamais pour nous,
mais que d’autres impressions semblables nous avoient
déjà fait pressentir vaguement ; et si dans le silence d’une
nuit éclairée, nous nous livrons aux accens sublimes du

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rossignol solitaire, un invincible pouvoir égare notre
imagination dans l’éthéré, l’élyséen, et navre aussitôt nos
cœurs abandonnés dans un vide intolérable.
Ainsi l’inexplicable regret nous entraîne par sa douleur
même, et nous plaît en nous déchirant. Ainsi le sentiment

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se ranime sur la trace de l’objet aimé. Ainsi le montagnard
des Alpes, exilé dans les plaines de France ou de
Hollande par la manie mercenaire d’une bravoure inconsidérée,
se plaît aux premiers accens du Ranz des vaches ;
mais bientôt s’intéresse, s’attendrit, pleure, soupire pro-

[JM 1]


    366-7. nous les a peut-être rendues nécessaires ; mais dans la saison facile nous – 368-70. indépendance, alors nos regrets s’éveillent. Les feux – 372-4. contrée majestueuse, tout ce qui nous plaît, tout ce qui nous fait jouir, nous opprime et nous attriste. Le chant… nous accable – 376. de ces choses qui n’existèrent jamais – 378. vaguement. Et si – 379-82. éclairée, près des asiles que le rossignol habite, nous nous livrons à la mélodie de ces accens solitaires que nul art ne sauroit remplacer, un invincible pouvoir remplit nos cœurs d’harmonies élysiennes, et les abandonne aussitôt à la prompte réflexion, qui les attère et les nâvre dans – 382-91. intolérable. *Ce sens intérieur qui nous lie –

  1. A. – 378. dans la douceur silentieuse