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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/99

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SIXIÈME RÊVERIE


Les excès physiques ou moraux de nos passions et de
notre intempérance, prouvent sensiblement ce besoin
d’énergie intérieure et de mouvement corporel, ce principe

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actif qui est la vie même, qui ne cesse que dans le
vieillard, et ne s’éteint en lui que parce que sa vie elle-
même s’éteint. Nous animons nos sensations, nous nous
plaisons à outrer non-seulement celles du plaisir, mais
aussi celles de la douleur. Toute passion se concentre en

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quelque sorte, et se veut nourrir d’elle-même. Le cœur
mélancolique cherche une mélancolie plus profonde.
L’infortuné chérit le sentiment de ses douleurs ; il aime
sa passion malheureuse, il s’abreuve de ses amères délices ;
leur oubli seroit un vide plus intolérable ; il redoute le


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  1. C, XVIe Rév., p. 100-102 = l. 1-68. – 2-3. des passions ou de l’intempérance, sont d’autant plus inévitables que la société est plus mal constituée. On abuse du besoin – 4-8. corporel, parce qu’on ne sait comment en user. L’industrie sociale excite cette inquiétude naturelle à une organisation compliquée, ce principe actif qu’il ne faudroit point réprimer, mais qu’il faudroit contenir. Si l’on ne donne pas à cette volonté mobile un objet prescrit et borné, l’imagination qui lui en propose sans relâche, la rend tellement avide qu’elle en fait le tourment des peuples. Il faut que la force des lois en arrête les prétentions et la retienne dans les limites d’une sorte de nécessité : car il est dans la nature que le mouvement une fois commencé continue jusqu’à la rencontre d’un obstacle, et qu’on ne le cesse que par impuissance. Nous nous attachons à nos sensations ; nous voulons animer non seulement – 10. et veut se nourrir – 12. de ses chagrins – 13-4. malheureuse, et il s’abreuve d’amères délices  : l’oubli de ses maux seroit – 14-5. il en redoute le