Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/140

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Montrez-moi Confucius : faites-lui entr’ouvrir sa
paupière antique, que vos acclamations lui donnent autant
de sentiment qu’en a le moucheron que vous écrasez !
J’examinerai alors ce que nous sommes. Mais qu’avez-vous
fait de sa cendre, et de celle de César ? L’infini les
enveloppe. L’infini ! c’est la mort. Le néant, pour nous, est
partout où nous ne sommes pas. La vie est l’éclair échappé
de la nuit : vous proclamez la vie durable ; retenez donc
le feu de l’éclair.
Qui de nous a bien senti l’immensité du monde ? De
globes en globes, d’astres en astres, qui de nous a
commencé le chemin des cieux ? Que d’années la vîtesse d’un
homme emploieroit à s’approcher de ces planètes qui

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roulent près de nous autour du | même soleil ! Mais les
soleils des autres mondes, comme ils fuyent dans le vide !
Il faudroit des torrens de siècles pour nous y porter. Où
finissent ces mondes dont nous entrevoyons les premières
lueurs ! Par quels chiffres avons-nous compté les astres
où notre terre ne sera pas connue ? Et c’est ici qu’il y a
des passions ! Il y a ici des promesses de gloire !
Mais je vous dirai une immensité d’un ordre plus étonnant,
des pensées plus reculées dans l’abîme, et des sensations
de néant plus épouvantables. L’espace entre les
différences est plus grand que l’espace marqué par la
position des êtres ; et l’infini des formes est plus divin
que l’infini des distances.
Comparez sur ce globe où nous sommes, la chenille à
l’aigle, le moucheron à la baleine, l’homme à l’huître :
comparez-les dans leurs mouvemens et dans leurs instincts.
La distance paroît extrême, et pourtant c’est dans
la nature une ressemblance presque infinie. Les individus
d’une même famille ont un caractère commun,
néanmoins tous diffèrent visiblement. Passez à la tribu, il y