Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/163

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au beau ; mais la Grèce le fit avec une grace particulière.
Rome fut occupée d’une autre grandeur : mais cette
même force servit enfin son génie après l’avoir longtemps
retenu. Comme tout étoit romain, le siècle d’Auguste
fut celui de la terre ; ce n’étoit point l’Italie, ce
n’étoit point l’Europe, c’étoit Rome souveraine.
Quelques peuples, descendus des hordes qui divisèrent
l’Occident, parurent jaloux d’atteindre à la grandeur que
leurs ancêtres avoient renversée. Mais l’un d’eux fut énervé
par l’étendue trop facile des conquêtes éloignées, et un
autre semble distrait par l’activité d’un négoce heureux et
par le soin de fertiliser les mers.
La France conserve sa supériorité : l’esprit de l’homme
y suit sa marche naturelle ; et, comme en Grèce [1], le beau
siècle prolongé se composera de trois siècles. |

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Cependant, ce n’est qu’au milieu des incertitudes que
l’on peut pressentir le siècle qui commence, il y auroit
trop de hardiesse à le deviner : est-ce à nous qu’il sera
donné de voir son ouvrage ? Avides du beau et du vrai,
nous voudrions devancer les temps ; mais avant qu’ils
justifient nos conjectures, nous aurons passé, comme ont
passé ceux qui ont attendu leur gloire de nos jugemens.
Ce temps qui nous sert à examiner, à prononcer, c’est le
temps qui nous entraîne nous-mêmes. Il semble que le
présent n’existe que pour nos successeurs ; nos contemporains
sont pour nous comme s’ils n’étoient pas encore.
Nos ancêtres seuls nous sont connus ; et dans notre course
précipitée sur ce présent qui nous échappe, si toutes nos
affections se portent vers l’avenir, le passé seul appartient
à nos lumières.
Quand le jour en sera venu ; quand on pourra con-
  1. De la naissance de Thalès à celle d’Epicure environ 300 ans.