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- Il se peut que la langue soit devenue moins poétique,
- ou plutôt moins exclusivement poétique ; c’est parce
- qu’elle est enfin parvenue à sa perfection. L’idiome
- informe des peuples barbares a fait des poëtes célèbres, et
- pas un prosateur connu. Le véritable langage, c’est
- l’expression simple et suffisante, c’est l’expression propre [1]
- et débarrassée de ces formes quelquefois heureuses, et
- plus souvent arbitraires, que l’esprit admet dans ses jeux
- en exigeant le rare talent d’y éviter l’enflure ou la puérilité,
- mais que la raison proscrit dans les occasions solennelles,
- et qu’elle tolère à peine dans l’usage sérieux et
- habituel de la pensée.
- Du temps de Bossuet, de Boileau, de Racine, la
- langue étoit fixée sans être achevée ; son génie étoit
- formé, mais il n’avoit pas tous ses développemens. Ainsi
- les organes parvenus à toute la force de l’âge viril, ont
- encore à acquérir des mouvemens que le temps, l’occasion,
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- le travail, peuvent seuls leur | donner, et ce n’est
- pas dans le premier moment de leur force qu’ils ont tous
- leurs moyens.
- On ne s’est pas mieux exprimé depuis Racine, mais on
- a exprimé plus de choses. On n’a pas rendu la langue
- plus belle, plus énergique, plus harmonieuse, mais on l’a
- étendue ; elle est devenue plus exercée, plus adroite, plus
- industrieuse en quelque sorte ; on a mis tous les genres
- dans son domaine [2]. Fontenelle, qui appartient aux deux
- ↑ Il n’est pas vrai que le Poëte puisse, comme le Prosateur, employer constamment l’expression juste. Ce n’est pas la même vérité, les tableaux sont forcés ; l’effet est pittoresque ; mais il y a toujours de l’idéal, et la ressemblance est manquée.
- ↑ « Dans quel autre siècle a-t-on vu les idées morales et politiques si abondemment répandues, si éloquemment exprimées ? La prose avoit-elle autrefois cette précision, cette rapidité, ce mouvement, cette couleur, cette ame enfin qu’elle a reçus de nos modernes écrivains ?