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NOTES D’UNE FRONDEUSE

M’y voici. La rue est paisible comme une rue de Versailles ; quelques brins d’herbe verte pointent entre les pavés. Elle est en pente ; la demeure de Boulanger est sise presque au bas de la côte. Plus loin, terminant la descente, une barrière de bois blanc clôt la chaussée que mûre, à l’horizon, un océan de hautes futaies : les arbres du parc Léopold. C’est un passage à niveau ; les trains le traversent, fulgurants, avec un vacarme de sifflets qui trouent le silence.

Pas de commerce, en cette voie où circulent peu de piétons. Seul, un petit épicier, un tout petit épicier comme les chante Coppée, a établi son fonds sans magasin dans un minuscule rez-de-chaussée, de l’autre côté de la rue, en face presque du numéro 79. Aux fenêtres, sous les rideaux, dans des bocaux, des confiseries, des compotes sèchent, l’air malheureux.

Quant à la maison du général, elle a quatre ou cinq croisées de façade, pas plus ; trois étages ; l’aspect plat des bâtisses anglaises où rien ne fait saillie, où rien n’accroche l’œil, ni balcon, ni pignon. La teinte en est blanche, les châssis de bois des ouvertures sont peints en rouge brun.

C’est un hôtel comme il y en a des mille et des cents à Neuilly ou à Passy. J’ignore ce que cela peut valoir à Bruxelles ; mais, chez nous, de location, on demanderait quatre ou cinq mille francs — pas plus.

Je sonne, on m’ouvre, on m’annonce.

Dans le cabinet de travail très austère, tendu de tapisseries sombres que relèvent des panoplies, et où une Alsace jeune, jolie, lève, d’un air d’espoir, ses doux yeux vers le drapeau dont la frange caresse son