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NOTES D’UNE FRONDEUSE

épaule, un homme est assis, qui se lève au bruit de la porte, et s’avance, chancelant, les mains moites…

Il est méconnaissable, ce vaincu que les pires défaites de la politique ont laissé alerte et souriant, et dont les yeux saignent à force de larmes, aujourd’hui, sous le coup qui lui broie le cœur !

Voûté, le pas traînant, jeune de visage toujours, mais d’allure brisée, le geste indécis, la voix hachée de sanglots, il erre en parlant, dans la pénombre de la vaste pièce, puis s’assied, comme harassé, à bout de souffle.

Il me raconte l’agonie de la disparue ; le mieux menteur des phtisies survenant, leur rendant confiance à tous deux ; ensuite, un léger malaise, le médecin appelé — et lui disant, à lui, en redescendant : « C’est fini ! »

Alors, la malade, avec cette divination de ceux que la mort guette, l’interrogeant du regard, et blottissant sa main dans la sienne, douze heures durant. Puis un souffle, un rien, quelque chose comme un vol d’oiseau à travers la chambre ; lui qui crie éperdu, les mains jointes : « Ne t’en va pas ! »… et le pâle visage qui glisse sur l’oreiller comme un lis fauché !

Et, tandis qu’il parle, des heurts sourds scandent ses paroles, un tapage de marteaux discrets — c’est, dans l’entrée, les tentures funèbres que l’on cloue…

À ce moment, le général s’en va, m’envoie une amie, pour me donner quelques détails sur ce que fut l’enfance de la morte, sa jeunesse, la continuelle mélancolie de sa vie.

— On l’a mise en bière tout à l’heure. Mais s’il vous plaît de monter ?

J’accepte. Nous gravissons le large escalier aux murs blancs. Un étage, puis deux. Je m’arrête sur le palier, émue jusqu’au frisson…