Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
NOTES D’UNE FRONDEUSE

Et toute la France, pour Rodrigue, avait les yeux de Chimène ! Les « citoyennes » étaient, je me le rappelle avec un sourire, extraordinaires d’emballement. C’est elles qui poussaient les hommes au vote, faisaient aller le commerce des œillets rouges ; et risquaient des atouts, dans les bagarres, pour glapir rageusement, sous le nez des sergots : « Vive Boulanger ! »

J’en parle à mon aise, ayant reçu alors plus de remontrances féminines que je n’en reçus jamais. Mes sœurs me trouvaient tiède…

Tiède, en vérité, je l’étais, n’ayant jamais aimé ni le panache, ni le galon ; ayant du sabre une méfiance instinctive — et antérieurement justifiée. À ce moment même, je me souviens, le Cri tombait à bras raccourcis sur le général et (sans injures, par exemple, j’avoue mon tort républicain !) je saisissais volontiers l’occasion de lui allonger un coup de patte.

Mais j’étais seule à penser ainsi, et pas une des femmes que je connusse, pas une, quel que fût son rang, qui ne me blamât.

Dans les salons, où on lui présentait les invitées ; sur le carreau des Halles ; dans les loges ou les foyers d’artistes ; partout, enfin, mes contemporaines n’avaient qu’une folie en tête et qu’un nom aux lèvres.

Comment s’étonner alors que cette nature douce, rêveuse, enthousiaste, ait subi l’unanime entraînement ; elle était libre après tout : ni parents, ni mari, ni enfants — en cela, du moins, le ciel avait béni son union !

L’uniforme ne la fascina guère, elle y était habituée d’enfance. Mais l’homme la séduisit comme elle le séduisit elle-même ; et il fut réciproque l’entraînement qui les jeta aux bras l’un de l’autre.

Elle ne trompait personne ; il trahissait quelqu’un. S’il y eut un coupable des deux, ce fut lui. Et encore