Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
124
NOTES D’UNE FRONDEUSE

de Bonnemains qui tint à lui donner asile, voulant marquer plus encore sa désapprobation à l’égard de son fils, son estime pour sa bru. Et quand celle-ci eut obtenu gain de cause, il lui témoigna toujours la plus vive des sollicitudes, la plus paternelle des affections.

D’ailleurs, ces sentiments étaient justifiés par l’attitude correcte de la jeune femme, la modestie de ses allures, l’impeccabilité de sa conduite, la pureté de sa vie.

En 1887, pas un mot n’avait été dit, n’avait pu être dit, par le monde, plus volontiers méchant, d’ordinaire ; pas une insinuation maligne n’avait été faite, sur cette exquise Parisienne de trente-deux ans, jolie, élégante, riche, fêtée, courtisée… et seule !

C’est à ce moment qu’elle rencontra, chez sa sœur, en un dîner prié longtemps à l’avance, auquel elle n’eut pas à s’inviter — car des lettres font foi qu’elle y fut conviée — M. le général Boulanger.

Ce qu’il était alors, ai-je besoin de le dire ?

La France ne croupissait pas, comme aujourd’hui, en un j’menfichisme qui fait croire que la chandelle est morte, sous le casque prussien qui la coiffe, à ceux qui ne savent pas combien vite elle se ranime au moindre vent.

La rue vivait, chantait, vibrait ! Il y avait des refrains dans l’air ; de l’espoir dans les cœurs ; et même ceux qui gardaient de la défiance, qui-pensaient à l’explication après le coup de torchon, ne pouvaient se garer de la belle humeur ambiante.

On bataillait ferme, entre mécontents et satisfaits, mais la salive ne moisissait pas dans les becs, ni la « sueur de négresse » dans les encriers !