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NOTES D’UNE FRONDEUSE

doivent mourir jeunes ; et se dépêchait, ayant si longtemps vécu sans amour, de mettre les baisers doubles !

Par exemple, là où elle avait trop présumé de ses forces, c’est dans la résistance à l’outrage. Ceux qui l’en ont lapidée peuvent être contents ; ils n’ont pas perdu leur peine : elle est morte d’eux autant que de son mal !

Chaque soir, elle prenait les journaux de France, et quand les allusions immondes, les épithètes fangeuses l’atteignaient plus que de coutume, la feuille s’étoilait de larges gouttes, pesantes et tièdes comme une pluie d’orage.

— Qu’est-ce que je leur ai fait ? gémissait-elle, ses pâles mains levées en un appel de détresse.

On la crut morte, le jour où parut le chapitre des Coulisses la concernant…

Et l’une des dernières phrases balbutiées par son délire fut celle-ci :

— Oh ! je voudrais tant, tant, que quelqu’un dise que je n’ai pas dit de partir ; que je n’ai jamais rien dit ; que je l’ai aimé, voilà ! Mais on est trop méchant… jamais personne, personne ne voudra le dire !…

Si, pauvre morte, chère martyre d’amour, il se trouve quelqu’un pour détruire la légende mauvaise et refaire l’histoire vraie ; quelqu’un qui a combattu l’homme que tant vous avez aimé, qui le combattra peut-être encore, s’il est besoin ; mais qui, parti là-bas pour faire son métier, a suivi avec respect votre cercueil, et, au cimetière, a détaché en cachette de son corsage une petite rose rouge, fleurie en terre de France, pour la déposer sur votre tombe — humble hommage de toutes celles qui ont aimé… et qui ont souffert !