Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3
NOTES D’UNE FRONDEUSE

Égalité ?

Sous mes fenêtres aussi, hier, vers deux heures, soudain, une galopade de cavalerie, un bruit de roues rapides, des cris ! Dans son landau, c’est le Président qui passe…

L’enthousiasme n’a rien d’excessif, mais, cependant, des gens lèvent leur chapeau, braillent, courent derrière, avec un grand élan de domesticité.

Comme c’est heureux, quand on y réfléchit, pourtant, qu’il y a cent ans on ait coupé le cou à un roi ; qu’il y a vingt et un ans, on ait renversé un empereur ! Plus de sceptres, plus de trônes, plus de couronnes !

Rien que la monnaie de la monarchie : roitelets à l’Hôtel-de-Ville, roitelets au Palais-Bourbon, roitelets au Luxembourg, et ce spectre de souverain coûtant cher, mais ne régnant point. Ah ! la nation a vraiment gagné au change !

Fraternité ?

Sur le pavé, encore le pas des chevaux, le roulis de l’artillerie, un tumulte de horde régulière qui passe, avec des cliquetis d’acier. Ce sont des régiments qui partent à la revue.

Et les hurrahs, les bravos, s’en vont moins à ces braves petits soldats à figure rougeaude, tout suants et tout soufflants sous l’œil dur des gradés, qu’au formidable attirail de tuerie qu’ils traînent.

Ah ! les beaux fusils, qui portent si juste et se chargent si bien ! Ah ! les jolis canons, ouvragés et fins comme de l’horlogerie, avec leur cou de sloughi, leurs flancs évidés, leur museau long qui mord à tant de distance !…