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NOTES D’UNE FRONDEUSE

soucie comme d’une guigne, mais c’est que nous avons été légion à sentir ainsi, les femmes surtout. Bien au contraire de l’autre sexe pas dégoûté, elles ont l’horreur des attaques ordurières, le mépris de la cruauté inutile, la pitié envers les vaincus. Bref, j’ai été l’amie des jours de deuil, très « troubadour », très « dessus de pendule », très « courtisan du malheur » — et, morguienne, ce n’est pas aujourd’hui que je m’en dédirai !

À Bruxelles.

On sera plus de dix, il paraît ; on sera même plus de quinze… et davantage encore. Sauf quelques convaincus que des motifs vraiment sérieux avaient empêchés, il y a deux mois et demi, d’assister aux obsèques de madame de Bonnemains, il va débarquer ici un lot d’individus sur l’envers desquels le défunt eût usé ses bottes s’ils avaient eu l’audace de se représenter devant lui. Ce mascaret de compassion, le flux de tendresse qui a secoué la foule, les a lancés jusqu’aux pieds du mort — pieds inertes, qu’ils s’en félicitent !

Comme l’écume jetée par le flot, ils vont représenter la fidélité des simples, la constance des humbles, le touchant et immuable souvenir des petites gens qui avaient espéré, par le général, voir finir leurs peines, et qui ne lui gardent point rancune, devant cette fin tragique, d’avoir failli à sa mission. Ainsi, à peu de frais, les autres donneront des gages de leur solidité de principes, de leur élévation de sentiments ; des garanties à un avenir encore inconnu. Ce qui va marcher derrière le char funèbre, sauf les amis et les rares dé-