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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Chez le Général.

Dès l’arrivée je m’y suis rendue. Ah ! la pauvre demeure si blanche, si gentiment aménagée en dépit de sa modestie triste — nid dévasté par les serres de l’Invisible qui plane au-dessus de nous tous — qu’elle fait peine à voir !

En bas, sur une large feuille de papier écolier, une vingtaine de signatures, pas plus ! Tout le long de l’es- calier, dans les jardinières à nuances vives, des plantes s’alanguissent, parmi la désolation générale, laissent retomber leurs branches comme des bras fatigués. Dans la chambre de madame de Bonnemains, que le général avait faite sienne pour être plus près de la morte — respirer un peu de son dernier souffle dans l’air où il passa ; chercher son image dans les glaces qui la réflétèrent, retrouver sur les coussins l’arôme de ses cheveux, et, sur les objets familiers, la douceur de ses doigts — dans cette chambre, on n’entre plus par la large baie ouverte sur le palier du second étage. On s’en va prendre, à gauche, une porte sur le même plan, qui donne dans le cabinet de toilette parallèle et accédant à la chambre. Il est tout tendu de perse claire à larges calices roses ; un lointain parfum y flotte, comme si beaucoup de fleurs avaient expiré là… des âmes d’odeurs !

Et, sitôt le seuil de la chambre franchi, voici le cercueil. Il est à la même place qu’était l’autre ; jonché de roses et d’œillets, comme était l’autre. Seulement, il n’y a plus personne sur la petite chaise où le général, il y a deux mois et demi, était affaissé, sanglotant, le visage enfoui dans les couronnes. Un vaste drapeau tricolore, cravaté de crêpe, recouvre la bière. Tous les ordres, croix, rubans, sont étalés sur le pied du lit — ce