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NOTES D’UNE FRONDEUSE

lit où elle expira ; ce lit où on étendit son cadavre à lui au retour du cimetière d’Ixelles ; où, même après la mort, son sang continua de couler par ses tempes béantes.

On ne croyait pas cela possible, vraiment ; tant il en avait perdu sur le coup, tant il en avait perdu dans le trajet ! La photographie de madame de Bonnemains qu’il avait sur le cœur en était toute détrempée ; et quand on retira d’entre sa chemise et sa peau, pour lui faire la suprême toilette, la boucle de cheveux coupée à la morte au moment des funérailles — et qui, depuis, ne l’avait jamais quitté — elle égoutta rouge, longtemps, longtemps…

C’est hier soir, à neuf heures, qu’on l’a mis en bière. On a attendu tant qu’on a pu, mais ces blessures du cerveau sont terribles, quant à la désagrégation rapide de l’être. Sur sa poitrine, on a remis le portrait, et l’anneau soyeux, doré comme un rayon de soleil. C’est la seule décoration qu’il emporte d’ici-bas.

Mais, de l’autre côté de la cloison, un bruit léger, une voix chevrotantie et grêle s’élève. C’est la mère, la pauvre vieille maman de quatre-vingt-sept ans, qui réclame son fils. Elle ne sait rien, rien encore, et ne veut pas quitter sa chambre contigüe, parallèle à celle-ci. Ça l’amuse, tout ce monde dans la rue qui regarde les fenêtres ; on aitend sûrement le retour de son fils, pour l’acclamer comme autrefois |

Hélas, pauvre vieille maman, votre fils est revenu ; il est là, de ce côté-ci du rideau de briques, dans cette boîte de chêne qui plus jamais ne se rouvrira ! Et la voiture que vous guettez, que vous attendez, la voici qui vient. C’est celle qui ramène les tentures funèbres, les candélabres, le crucifix d’argent.

Ce n’était presque pas la peine de les enlever !