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NOTES D’UNE FRONDEUSE

battaient de braves cœurs bien fidèles, n’ayant jamais varié.

Certes, parmi les vingt députés qui se sont déplacés pour venir ici, il en est quelques-uns à la constance desquels il serait injuste de ne pas rendre hommage. Je le fais donc ; seulement, j’avoue n’avoir eu d’yeux que pour les précédents — obscurs, presque anonymes, mais apportant l’expression du populaire regret, Un moment, ils ont serré les poings, froncé les sourcils et guigné l’entrée de façon rébarbative. Le bruit avait couru que quelques renégats oseraient se présenter — qui ont bien fait de ne pas venir !

Tout s’est donc passé de la façon la plus correcte, cette après-midi. Quelques ennemis déclarés se regardaient bien de travers ; mais unanimement, d’un tacite accord, ils ont ajourné l’expression de leurs rancunes ; et nul incident fâcheux n’a troublé cette dernière apothéose — pas même des discours. Car on s’est tu (pour la première fois dans le parti, peut-être) selon la volonté de la famille et le désir du défunt.

Dès le char funèbre entré, une telle poussée s’est produite qu’on parle d’une dizaine de blessés, dont un grièvement. Il a fallu fermer les grilles, pour éviter l’envahissement du cimetière, et de plus graves malheurs. Les dernières couronnes (car en dehors du char mortuaire qu’elles transformaient en une pyramide féerique de coloris et de parfums, il avait fallu employer, à leur transport, deux voitures et une vingtaine de porteurs) ont dû être passées, avec une double échelle, par-dessus les murs de l’enclos. Elles gisent maintenant autour du monument, dont on ne distingue plus les lignes sous cette avalanche de bouquets et de palmes, de cocardes et de trophées.

L’Église a refusé ses prières… la France a envoyé son