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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Comme là-bas, des cactus poignardent l’espace de leurs dards bêtes… joubarbes belliqueuses, artichauts guerriers ! Comme là-bas, des araucarias immuablement verts étendent leurs bras mal raclés, où les feuilles sans tige font copeau après la branche — nids de serpents en rupture de housse, dont les écailles se rebiffent, rageusement ! Comme là-bas, des figuiers développent leur frondaison édenique et chaste (caleçon de nos premiers parents !) et les treilles croulent sous l’ampleur des grappes, charnues et rebondies comme un sein de nourrice !

Oui ; c’est presque la même végétation qui ombre le sol, grimpe en spirale, dégringole du sommet des toits. Le flot, aussi, affecte des nonchelances, des transparences bleues frangées d’argent mat ; et, là-haut, le ciel s’efforce de s’éclaircir, tire les courtines de ses nuages, pour laisser entrevoir la courte-pointe azurée du firmament.

Mais malgré cette bonne grâce de la nature, ce grand désir de plaire dont tout est animé, l’accueil souriant de ce coin de Provence égaré dans l’Océan, on sent l’Angleterre proche — avec ses buées, ses brouillards, ses brutalités de climat ! Il en est de Jersey comme de ces aquarelles d’Italie que les ans ont lavées, estompées, blêmies, et qui semblent un paysage de rêve tracé par une main de fantôme.

J’ai contemplé, sur des albums de misses poitrinaires, des traductions de vues d’Orient qui avaient cet aspect-là… Un peu des brames natales paraissait demeuré entre l’interprète et la lumière ; les contours défaillaient, comme si les petits doigts las n’avaient pu prolonger l’effort ; et la mélancolie de celles qui doivent partir jeunes s’exhalait des pages, donnant à ces évocations de réalités une saveur d’apparition.