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NOTES D’UNE FRONDEUSE

à Bruxelles, rue Montoyer, dans le bureau du général. Lui s’asseyait parfois là, à droite, et regardait ses doigts si agiles et si blancs courir dans les laines. Mais le plus souvent, il était debout, adossé à la cheminée. Ah ! madame, comme ils s’aimaient ! Et comme elle était belle ; et comme elle était courageuse ; et comme elle était bonne ! Hélas, le mal l’a prise bien vite ! Quand elle est arrivée, elle était fraîche, superbe, toute rose. Au bout de trois, quatre mois, elle était si faible, si changée, qu’elle demeurait couchée tout le jour, incapable de se tenir debout, ne mangeant plus. Tout de même, elle se levait bravement à six heures, afin de se mettre en toilette de bal et de descendre dîner… pour les gens de France !

— Ils prenaient leurs repas dans la salle commune ?

— Oh ! non ; le salon, en bas, leur était réservé.

— Est-ce que ces gravures étaient déjà là ?

— Je désigne du doigt deux cadres : le portrait de Gambetta, le portrait de Hugo.

— Oui, ils disaient souvent que c’étaient les grands hommes qu’ils préféraient.

Comme je ressors, dans l’antichambre, madame Moueaux me désigne la porte de droite :

— Là, c’était la chambre du général ; c’était censé sa chambre plutôt… du temps où madame de Bonnemains, débarquant ici, et, toute malheureuse de sa fausse situation, se faisait appeler miss Florence.

Pauvre miss Florence ! C’est tout elle, ce nom d’Italie, embaumé et rayonnant, sous ce ciel d’Albion !

Demain, j’irai à Sainte-Brelade. Il est difficile, presque impossible, dit-on, de visiter la villa. Mais ce que femme veut…