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NOTES D’UNE FRONDEUSE

aïeule, à l’intention de qui cette vente est faite ; qui n’aura que cela pour toute ressource, pour tout bien !

Mais si l’on avait dit que le « ménage » et l’argenterie du général seraient bazardés pour onze mille francs, auraient-ils levé assez haut les épaules, quelques-uns des adversaires ? Ils auraient demandé si on se moquait d’eux, positivement.

Comme nous allions quitter, une femme qui était là depuis le matin et n’avait rien acheté, une femme en habits d’ouvrière, a ramassé tout son courage et s’est approchée, rougissante jusqu’à la racine des cheveux, bégayant d’émotion.

— Je ne suis pas riche, je n’ai pas pu, c’était trop cher… Cependant, je voudrais tant avoir quelque chose de Lui !

Elle a dit que c’était pour sa petite fille, mais ce gros mensonge-là avait bien de la peine à sortir. Et on lui a donné ce qu’elle souhaitait si ardemment un œillet rouge artificiel qui ne valait guère plus d’un centime. Elle est partie rayonnante, tenant sa fleur à deux mains comme les premières communiantes tiennent leur cierge…

J’ai été au Tattersall dire au revoir à Jupiter, le complimenter à mon aise. Il part ce soir pour Paris.

En revenant, rue de Spa, nous avons rencontré les trois voitures qu’on emmenait à bras : victoria, landau, coupé. Je me suis arrêtée pour suivre ce dernier du regard — c’est là-dedans que le général escorta, le 20 juillet, jusqu’au cimetière d’Ixelles, sa douce amie, Marguerite de Bonnemains ; c’est là-dedans qu’on le ramena, mort, du même cimetière, le 30 septembre… il y a de son sang sur les coussins !

Ah ! tristesses des choses humaines, néant de tout !