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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Il m’y faut ajouter une autre, et celle-là, pour nous, femmes, prime tout le reste : il aima jusqu’à en mourir !… Ah ! que la politique semble donc misérable petite ordure, auprès du drame intense où palpite la douleur humaine, où la passion intervient — l’amour, maître des mortels et des immortels ; qui, pour tous ses vassaux, n’a qu’un même tourment ; fait pleurer le charbonnier dans sa boutique et le roi dans son palais !

Aimant, il fut aimé. Et je demeure grave toujours devant ces élans d’adoration où se complaît la foule. Il est trop niais de les déclarer, du haut de sa sapience, injustifiés ; et, pour tout argument, de montrer le poing à l’idole. Peut-être vaudrait-il mieux respecter en elle ce qui est infiniment respectable : l’affection, l’espoir des humbles… et chercher à tuer le mal dans sa cause plutôt que dans son effet !

Tant que la racine est en terre, l’herbe repousse, gare à l’avenir !

Ces réflexions s’échangent, entre inconnus, dans l’auditoire ; et les deux courants de vente établissent clairement les deux courants d’esprit. Les acheteuses recherchent des bribes d’amour : ce qui a appartenu à Marguerite de Bonnemains, des miettes d’intimité. Les partisans, au contraire, s’en tiennent aux objets exclusivement à l’usage du général. Son lit de camp est adjugé 15 francs ; son foyer de bureau 30 francs ; un fauteuil d’osier drapé de cretonne qu’il affectionnait, 22 francs.

Entre temps, des anomalies curieuses. Sa grande table de travail, la massive table de chêne qui figurait à l’hôtel des Champs-Elysées, et sur laquelle tant de