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NOTES D’UNE FRONDEUSE

que tu mettras trois quarts d’heure à ne pas obtenir ; car, tandis que tu fais antichambre, les créanciers, les électeurs influents de province, les amis du concierge d’un député, et autres, arrivent avec un ticket donné d’avance, et emplissent la salle. Tout à l’heure, nous te dirons : Désolés, mon bonhomme, mais nous manquons de place. File ! »

Et le tour sera joué !

Sans compter les mesures vexatoires, et odieuses de la part de ces jacobins qui ont substitué aux droits des seigneurs le droit des mufles.

La blouse n’est pas admise au Palais-Bourbon. Elle ne franchit même pas la grille du quai, ne peut « salir » la cour de sa note blanche ou bleue. « Une mise soignée est de rigueur », et l’ouvrier n’est admis à contempler ses élus que s’il s’endimanche.

Voilà ce que fait pour les siens ce régime d’égalité.

Est-ce que c’est juste ? Est-ce que, à part trois ou quatre tribunes, la salle entière ne devrait pas être livrée à ceux qui en paient l’entretien, le mobilier — et les habitants, par-dessus le marché ? Est-ce qu’on ne devrait pas laisser s’installer, à la bonne franquette, les trois ou quatre cents premiers arrivés ?

Les parlementaires craignent, dit-on, la mauvaise éducation de la foule. C’est qu’ils ne savent pas combien le peuple est respectueux, quand on le traite respectueusement. Parmi les ouvriers, les plus timides que j’aie connus étaient des forgerons, ces rudes gars qui ont des mains comme des éclanches de mouton, et qui font de la dentelle de fer rouge sous leur marteau puissant.

Puis, quand le peuple veut être irrespectueux, il n’a pas besoin de contre-marques pour entrer. Que les députés se mettent bien cela en tête, et que la ques-