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NOTES D’UNE FRONDEUSE

forces numériques de l’adversaire s’alignaient, en bel ordre, sur le tapis ; des bataillons survenus succédait aux bataillons disparus… Comme à Waterloo : ils étaient trop !

On s’est rattrapé sur un tas de petits duels, de combats singuliers où nous avons eu souvent l’avantage. Le coq de France — le coq hardi ! — est allé tirer d’entre les crocs du lion belge, d’entre les griffes du léopard anglais, bien des bribes du passé.

C’était grains de mil, au reste, par rapport à leur appétit ; et surtout, comme intrinsèque valeur. Seulement, il suffisait qu’un des familiers « poussât » un bibelot, pour que l’étranger, les Alliés, comme un seul homme, fonçassent dessus. L’intervention des amis était la pierre de touche qui, mieux que dire d’expert, certifiait, non l’authenticité d’avance établie, mais le taux moral, le prix inappréciable d’une chose sans prix.

On a eu recours à des feintes de guerre, on a rusé. Ainsi qu’à Drouot, des neutres disséminés dans la salle ont attiré l’attention de l’adversaire ; obéi à des signes convenus ; incarné les convoitises sentimentales qui craignaient d’être vaincues par les opulentes curiosités.

Mais celles-ci avaient un flair du diable ; épiant les physionomies ; se méfiant autant de l’apparente indifférence que d’une factice agitation. Et, de cette lutte ayant pour enjeu une valeur autre que la valeur matérielle, il résulte que les objets « précieux », au sens marchand du mot, sont demeurés au-dessous du cours usuel, tandis que de véritables bricoles atteignaient des prix pharamineux.

Et jamais bataille à l’hôtel des Ventes n’a eu le côté passionné, vibrant, de ce fiévreux combat, où les sans-le-sou de la Ligue des patriotes défendaient les miettes