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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Que faut-il donc de plus pour être français ?… Naître de ce côté du Rhin ? Il y est né ! Alors ?

Alors, si vous le voulez bien, avant que de vous dire la cause de cette persécution abominable (et quel «crime » la motiva), nous allons étudier ensemble la vie du vieillard dont je me suis constituée l’avocate parce qu’il est pauvre, seul ; parce qu’il est victime d’une iniquité affreuse ; parce qu’il s’éteint, en exil, de misère et de désespérance ; parce qu’en dépit de tous les gouvernants du monde, il est, à mon sens, Français, bien Français, bon Français — autrement que la plupart de ceux qui lui interdisent la patrie !

Que c’est mal, ce qu’ils font là ! Et quelle peine vous prend à constater que ni le pouvoir, ni la fortune ; aucune des ambitions résolues, aucun des vœux exaucés, aucune des jouissances atteintes, n’arrivent à faire pénétrer la miséricorde dans l’esprit des parvenus ! Bien au contraire, il semblerait. Tel, qui était accessible à la pitié, n’étant rien, devient arrogant et dur quand la réussite lui a glissé son socle sous les pieds — comme un tabouret d’ouvreuse ! Alors, il fulmine, domine… Une rancune hargneuse lui vient contre les petites gens qu’il aimait jadis ; et qui ont exhaussé son triomphe de leur effort, qui l’ont calé avec leur cœur tout chaud, tout saignant : la rancune des mauvais débiteurs payant en haine l’intérêt de leur dette !

Oui, cela donne du chagrin — et de la colère !

Mais chagrin et colère sont armes inutiles, nuisibles, plutôt, si les faits ne leur donnent raison. Suivons donc Naas, ce pauvre bonhomme à cheveux blancs, du coin de village français où il naquit, au coin du village allemand où il va mourir, quelque jour, de privations et