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NOTES D’UNE FRONDEUSE

— le sachant ou sans le savoir ! Entre Strasbourg et Kehl, c’était un défilé perpétuel de noces qui traversaient en dansant le joli pont… violon en tête !

Qui aurait pu pressentir la brouille, les batailles ; et nos chefs surpris ; et nos troupes écrasées ; et le fleuve roulant comme de l’eau fraîche, entre les races désormais ennemies, des torrents de sang — le réveil, enfin, à toutes ces promenades, toutes ces rustiqueries, toutes ces séances de roulette, tous ces soirs de fête, tous ces matins d’excursion ?

Où les diplomates ne prévoyaient rien, un pauvre diable de garde forestier pouvait bien ne rien deviner. Il y avait plus de bénéfice, pour lui et ses petits, à exercer son métier de ce côté-là du Rhin que de ce côté-ci ? Il y alla, faisant pour nourrir sa marmaille ce que tant d’autres faisaient pour leur amusement… à qui personne n’a jamais songé à en faire reproche !

En Allemagne, il demeura plus de dix années. Son troisième fils : Charles (aujourd’hui âgé de trente-six ans, et exerçant à Bouxières-aux-Dames la profession de forgeron ; après avoir été classé dans la réserve) y naquit. De même, en 1858, son quatrième fils : Joseph, — présentement forgeron à Champigneulles, après avoir fait, à deux reprises, ses vingt-huit jours. De même, en 1863, son cinquième fils : Hubert, garçon brasseur à Saint-Sébastien, près de Nancy ; et qui va, lui aussi, au mois de mars prochain, faire ce que la loi lui réclame de service militaire.

Enfin, pendant ce séjour outre-Rhin, les deux aînés, Jacques et Pierre, vinrent également en France remplir leur devoir : l’un faisant partie de la classe 1868, l’autre, en 1869, s’engageant volontairement pour cinq ans.

Ces détails sont quelque peu arides, mais le premier