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NOTES D’UNE FRONDEUSE

calomnié tant que son concours est utile, et que l’on déclare compromettant dès qu’il y a partie gagnée — dès qu’on croit pouvoir se passer de lui !

Boule-de-Suif, ce serviteur apte à toutes les corvées et qui les accomplit toutes ; dont l’honneur sert de paillasson à toutes les insultes, dont le nom sert de cible à toutes les flèches ; qui assume sur sa seule personne le plébiscite de l’exécration… que tout seul, pourtant, il n’a pas encourue !

Boule-de-Suif, cet aventurier qui a au moins de la crânerie et de l’envergure — fût-ce dans le mal ! — et dont ceux qui n’ont rien : les veules, les neutres, les insipides, envient jusqu’à l’impopularité !

Boule-de-Suif, ce Mazarin de Toulouse, ce Mandarin de Paris… énigmatique figure, gouailleuse et têtue ; sphinx qui dévora la Boulange pour le compte du maître, et que le maître ingrat renvoie à sa niche d’un coup de pied !

Boule-de-Suif, ah ! oui, celui dont ils vécurent et sur qui ils crachent — s’éloignant, maintenant, avec des mines de crapuleux !

Halte-là, bons apôtres : les purs, les austères, les impeccables, ceux qui s’offrent à lPexamen en disant : « Lui, est malpropre ; mais voyez comme nous sommes nets ! »

Je n’ai pas envie de le défendre, le complice déchu qui accepta la responsabilité de Fourmies… mais tous, sans exception, tous, ont aux doigts le même stigmate : la marque de Caïn, la tache de Macbeth ! Et il ne faut pas que la disgrâce d’un suffise à l’absolution des autres ; que cet homme qui s’en va soit le bouc émissaire, emportant dans sa barbe grise tous les péchés de la tribu !