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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Au matin, quand, dans la voiture enfin réattelée, les voyageurs montent, chacun s’écarte d’elle comme d’une lépreuse ! Nul ne lui adresse la parole ; on la lapide de regards scandalisés ; on l’écrase sous le mépris !

Et quand vient l’heure du repas, tous tirent leurs provisions, bâfrent, se bourrent, échangent des grâces et des sandwichs, dans la joie de la délivrance. Elle, dans sa hâte et sa honte, n’a pensé à rien prendre — on ne lui offre rien.

« Elle se sentait noyée dans le mépris de ces gredins honnêtes, qui l’avaient sacrifiée d’abord, rejetée ensuite, comme une chose malpropre et inutile… »

J’ai peine à croire que M. Constans se sente noyé, lui qui a été la bouée de sauvetage à laquelle se sont raccrochés tous ceux qui, aujourd’hui (de la rive atteinte par son aide), lui jettent des pierres pour le faire sombrer.

Mais si jamais fantaisie littéraire put s’appliquer à la vie publique ; si jamais assimilation fut parfaite, complète, absolue, jusqu’en ses moindres détails, c’est bien celle-là !

Boule-de-Suif, ce ministre à tout faire, que l’on appelle aux heures de crise, que l’on renvoie aux heures de calme — quitte sans doute à lui faire signe de nouveau, si quelque autre péril surgit ; s’il faut encore se retrousser les manches, pour mettre les mains à la pâte, sans mitaines… dans un pétrin qui ne sent pas bon !

Boule-de Suif, cet ex-pion en droit qui reçoit non moins d’injures qu’un empereur ; et que l’on déclare