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NOTES D’UNE FRONDEUSE

nature… qui avait donné, à ce Parisien, les allures, l’accent du Midi !

Il marchait comme on danse la farandole ; son geste partait en mistral ; ses yeux, derrière le binocle, luisaient comme deux petites criques de la Grande bleue, piquetées de soleil — et toutes les cigales de Provence crissaient dans sa voix !

Jamais je ne vis provincial plus avéré. Il disait « sa dame », « sa demoiselle » ; il débitait des fadeurs de marguillier à la loueuse de chaises : il ne dédaignait point le calembour ; il n’était pas voyageur de commerce, il était commis-voyageur ; son « rococo » ne remontait point à l’autre siècle ; il datait de Louis-Philippe !

Ô Lauzun ! Ô Richelieu !…

Mais ce n’est point là ce qui me surprit le plus ; chacune son goût, après tout ! Même, au fur et à mesure qu’il revenait à son vrai plan, il gagnait, dans mon estime, ce qu’il perdait en prestige, ce gaillard si simple, si primitif, dont la poignée de main était si nette, le regard si franc. Ses défauts le servaient plus que les qualités imaginaires — négatives, à mon sens — dont l’opinion l’avait affublé. Il était sympathique, semblant bon.

Par exemple, ce qui était stupéfiant, inconcevable, la chose pour laquelle madame de Sévigné n’aurait pas eu assez d’épithètes, ni le dictionnaire assez d’adjectifs, c’était sa candeur imprévue, fantastique : de telle sorte qu’il fallait, par moments, regarder à deux fois cette physionomie bonasse, rieuse, débordante de naïveté, pour être bien sûr qu’on ne rêvait pas ; qu’on n’était pas dupe ; qu’il ne vous faisait pas poser ; que c’était bien là Vergoin… le seul, l’unique, l’incomparable, Vergoin le fêtard, Vergoin le séducteur !