Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/235

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Une seule fois, il s’était lancé, avait jeté sa gourme — avec mademoiselle de Sombreuil !

Et il n’y comprenait goutte, d’avoir eu si peu de chance ! Ce casseur de cœurs, dont le nom enthousiasmait les potaches, dans le fond des bahuts ; excitait l’émulation des Adonis de province ; inspirait les muses de sous-préfecture ; et en imposait au vulgaire ; ce « joyeux viveur », ce « noceur échevelé », ne savait rien, ne connaissait rien de la vie… plus désarmé contre elle qu’un séminariste en rupture de prêtrise, plus ébahi devant le struggle qu’une pensionnaire au sortir du couvent.

Ah ! oui, pauvre Vergoin ! On lui fut vraiment féroce.

Quand arriva la défaite de son parti, l’exil, il tâcha de se faire inscrire au barreau de Bruxelles. Mais la haine des vainqueurs veillait, tenace ; s’interposa entre lui et le gagne-pain. Il en fut de même après sa rentrée en France, presque jusqu’à la fin. Gracié, on lui interdisait de plaider — c’est-à-dire d’exister !

Le voici tranquille : ne restent plus à plaindre que la maman presque octogénaire et l’orpheline, qui demeurent seules, perdues dans leur deuil… Que mes inoffensives railleries ne les attristent point ! Je tenais à être sincère, afin de pouvoir conclure, très haut, que celui qu’elles pleurent fut un brave homme, un honnête homme, dont une menteuse légende gâta la vie et avança la mort.