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NOTES D’UNE FRONDEUSE

citoyens disposés à tous les risques, à toutes les aventures, héros hier, apôtres aujourd’hui, martyrs demain :

— Si nous le gardions ?

— Qui ?

— Le père Kühn.

Tous les bras s’élancèrent vers le plafond ; toutes les bouches proférèrent le même hurlement. Vite, j’expliquai qu’il n’était point question de faire aucun mal à ce vieux manchot ; mais seulement de le remiser gentiment dans un coin de cave inaccessible aux perquisitions ; bien nourri, bien traité… par pur dilettantisme ; pour faire une vraie farce ; pour témoigner aussi d’irrespect aux pouvoirs publics ; et donner à la foule un salutaire exemple.

Ils m’écoutaient, désespérés. Le plus farouche, sans mot dire, se leva, alla prendre un in-quarto, et revint l’ouvrir devant moi. C’était le Code.

Lancée, je répliquai, sans lire :

— Enfin, ça ne vous dit pas ? Mais pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

De sa voix sonore, de cette belle voix qui prêchait aux simples le mépris de la loi, l’abnégation, l’audace, le révolutionnaire répondit :

— Parce que ce serait illégal…

Il eût pu ajouter : « et qu’on nous fourrerait dedans » ; mais cela allait de soi.

En 1887, il ne s’agissait plus d’une escapade fantaisiste ; de graves sentiments étaient en jeu. Alors, comment hésiter ? Ferry gênait ? On enlèverait Ferry ! Jamais les Congrès n’ont nommé d’absent.

L’exécution ?… À cela ne tienne ! En une demi-heure, le plan fut conçu. Quant à sa mise en œuvre, trois