Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
13
NOTES D’UNE FRONDEUSE

femmes, qui adorent l’imprévu ; et aussi les exaltés de patriotisme, qui vous voient, j’en jurerais, avec les yeux bleus, les cheveux rouges, et le teint blanc… vive le drapeau français !

Tous ceux-là vous suivent parce que vous parlez bien, parce que vous portez beau, parce que vos dorures flamboient au soleil, parce que vous incarnez, mon général, les folies héroïques de la France guerrière !

Mais c’est la foule cela, ce n’est pas le peuple ! Tandis que l’une se mire dans le fourreau de votre sabre, l’autre songe qu’il y dort une lame aiguë, tranchante — et que cette lame a été tirée contre lui, en 1871…

Oh ! je sais tout ce que pourront dire les vôtres : que vous aviez trente ans, et que la trentaine est l’adolescence des hommes d’État ; que quiconque appartient à l’armée doit choisir entre l’obéissance ou la mort, alors que, de par l’éducation d’école et de caserne, on est incapable de choisir — le cerveau ayant reçu, à peine formé, le coup de pouce effroyable de la discipline.

Je sais tout cela, et ne dis point que ces arguments soient négligeables Je suis d’une famille de soldats, et n’ai qu’à me rappeler les propos qui ont enragé mon enfance, pour savoir ce que pesait alors, au point de vue philosophique, le bagage d’un officier.

Il y a plus.

Mon éducateur en littérature et en politique, ce Vallès qui fut un citoyen sachant écrire et un monsieur sachant penser, Vallès avait plus la haine des bourgeois ignobles, suant de peur et de lâcheté dans les allées de Versailles, que des soldats, lancés par eux, qui risquaient leur vie dans les rues de Paris.

Il ne faisait exception que pour un seul, qui, celui-là,