Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
NOTES D’UNE FRONDEUSE

dès la vue du fouet. On ne songeait aucunement à le maltraiter ? Qu’importe ! Il ne menaçait pas — il se souvenait !…

Le peuple se souvient. Chaque fois que les pages de son histoire sont estampillées avec le pommeau d’une épée, ces pages-là sont enluminées de rouge comme les feuillets d’un missel gothique.

Il sait par cœur la légende du glaive — du glaive rude aux misérables, dans l’antiquité comme dans le temps présent !

On lui a dit, à l’école, le mot de Brennus jetant sa lourde lame dans la balance et criant : « Malheur aux vaincus ! » alors que lui, paria, a le respect et l’amour des vaincus — qui toujours furent siens. Et il se rappelle la parole brutale du grand cuirassier blanc, qui, appuyé sur la haute épée de Charlemagne, regarde la France par-dessus les Vosges, et à proclamé que « la Force primait le Droit. »

On le sait par expérience, allez, dans nos faubourgs, que la force prime le droit !

C’est pourquoi, général, vous avez avec vous la population, cette masse irrésolue et flottante qui crie vive celui-ci, vive celui-là ; qui est partout où l’on fait du boucan ; qui a pour chef un gâte-sauce à toque blanche, un épicier à blouse bise ; qui, aux heures tragiques, parfois, d’enfantine devient féroce, et, indifféremment, fusille Lecomte ou lapide Varlin, à la rue des Rosiers.

Vous avez plus cependant — car je ne voudrais pas être injuste — vous avez tous ceux qui sont las de l’état de choses présent : les petits boutiquiers menacés de faillite ; les politiciens menacés de liquidation ; les