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NOTES D’UNE FRONDEUSE

On les retrouve autour de toutes les sépultures, où dorment, enlacées, les victimes d’amour. Des mains pieuses toujours, des mains d’inconnues le plus souvent, veillent jalousement à parer l’autel. Qu’il s’agisse, au Père-Lachaise, d’Héloïse et d’Abeilard ; qu’il s’agisse, à Vérone, de la fille des Capulet, du fils des Montaigu ; qu’il s’agisse, ici, de Georges Boulanger, de Marguerite de Bonnemains, toujours quelque silhouette furtive, de noir vêtue, s’efface, qui priait ou pleurait aux pieds des amants.

Sur eux… ou sur elle ?

Sur elle et sur eux ! Sur l’humaine douleur qui a le plus d’échos ici-bas ; qui fait vibrer le plus les nerfs de l’être ; qui fait ruisseler le plus de larmes — torture égale aux joies qu’elle expie ! — sur l’amour, souverain de la création, dieu et bourreau, vainqueur de la mort… puisqu’on lui immole, avec ivresse, l’instinct de la vie !

Mais ces piétés sont farouches, se plaisent seulement dans le recueillement et la solitude. Le bruit, la cohue, l’officialité des anniversaires les éloignent, comme ils écartent les amants heureux, dévots assidus de ces pèlerinages, qui vont y porter la fleur de leurs serments.

Il n’est, à l’entrée du cimetière d’Ixelles, aujourd’hui, que des curieux et des militants. Il est venu de Paris trente personnes — trente tout juste ! — dont cinq députés. Et, sauf quelques sincères, réellement attristés, sauf quelques braves gens qui, n’ayant pas été à la curée, ou fort peu, tiennent pour obligatoire de continuer à se partager la défaite, tout ceci pue la politique à plein nez !

Les assistants sont rares… mais combien le seraient-ils plus encore si l’on n’avait supputé, à l’avance, quel