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NOTES D’UNE FRONDEUSE

serait leur chiffre ; préjugé de la décision de celui-ci ; suspecté la détermination de celui-là ? Et, même dans cette poignée d’hommes, survit la tradition des intestines querelles : des regards se croisent qui n’ont rien d’amical ; des poignées de main s’échangent, comme il s’en dut échanger au chevet d’Alexandre.

Chacun croit avoir été l’élu du « chef » ; mais chacun aussi se préoccupe de ce que le « chef » a bien pu écrire de lui au voisin. On sait qu’il y a des lettres, des papiers. Pierre Denis en a ; et aussi tant d’autres — qu’on ne soupçonne pas ! Je ne puis m’empêcher de sourire, songeant à l’ambassade de M. Marius Martin, rue Montoyer, au lendemain des obsèques du général…

Cependant, M. Dillon n’est pas là. Il a passé à Bruxelles, pour affaires ; et peut-être, aussi (en vue d’une amnistie qu’il espère proche) afin de tâter le terrain, dans le milieu boulangiste, concentré à cette date. On prétend que quelques avis lui sont parvenus, l’édifiant assez, pour qu’il reprît le train avant l’arrivée des manifestants. Mais ce sont là purs on dit.

Il m’eût semblé même difficile que M. Dillon songeât une minute, fût-ce isolément, à se rendre sur la tombe de celui qu’il traita de « soldat entretenu ». Il faut avoir la pudeur de son opinion — et le respect des morts !

En revanche, M. Rochefort arrive, dans un landau qui fait illusion, de loin, avec la cinquantaine d’œillets rouges escaladant les portières pour accueillir le proscrit. On eût dit la contrefaçon, la réduction des énormes ovations de jadis ; une édition belge proportionnelle à l’étendue de la contrée et au chiffre de ses habitants.

Tout ce monde se précipite chez le conservateur où