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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Je m’en vais aussi — chercher chez le conservateur du cimetière, l’excellent M. Marchal, qui avait bien voulu me les garder tant que durait la cérémonie, ma couronne et mon bouquet ; aucunement hommage d’une politicienne, mais souvenir d’une femme à deux êtres qui s’adorèrent et furent profondément malheureux.

Les curieux eux-mêmes (ces excellents Belges qu’il est impossible de ne pas aimer tant ils sont hospitaliers, fraternels, de belle santé et de belle humeur) sont partis un à un, s’égrenant vers l’entrée, le long de l’allée centrale. Et le départ s’active, sous la menace du ciel soudain assombri.

Voici qu’une goutte d’eau tombe, puis une autre, étoilant les rubans — comme ses pleurs, à lui, durent glisser, de ses paupières brûlées, sur la pierre sépulcrale.

La pluie augmente, lave tous les hochets de la gloire, commence à déteindre les inscriptions, efface la trace des pas… Un oiseau, les ailes mouillées, cherche asile dans le jardinet : un rouge-gorge, cravaté de pourpre comme un commandeur de la Légion d’honneur.

Le silence revient, une paix douce, infinie, où le vent, seul, met son léger sanglot. Et il me semble que cette ondée, ce purifiant baptême, est fait de toutes les larmes des amants ; de tous ceux pour qui ce soldat, cette patricienne, ont voulu être, sont, et resteront à jamais, éternisés par l’amour, Georges et Marguerite, — rien d’autre ! Les lauriers sont coupés et les myrtes fleurissent…

Arrière, ô Tisiphone !