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NOTES D’UNE FRONDEUSE

l’on signe le registre. Puis le cortège, en grande pompe : les trente Français de France, en tête ; nos compatriotes habitant Bruxelles, ensuite ; et les indigènes, après ; se rendent au monument. Ils y déposent une quinzaine de couronnes, des fleurs de chez nous — et M. Rochefort prend la parole.

Tandis qu’il « chine » le gouvernement, je la regarde, cette pauvre tombe qu’on ne peut laisser en paix. Il me semble pourtant que nul écho ne devait plus retentir ici, après celui qu’éveilla la gâchette du revolver ; que nul souffle ne devait chasser le dernier soupir exhalé à cette place… et que cet homme avait bien gagné, par sa mort, de pouvoir (enfin !) oublier les vivants !

Il paraît que je me trompe, que la politique s’accommode mal de cette sensiblerie. Allons, soit ! D’autant qu’il faut rendre cette justice à M. Rochefort, qu’il est bref.

L’étrange silhouette ! Il évoque de façon saisissante, à cette place, parmi les emblèmes funéraires, l’inoubliable dessin de Gill : « Alas poor Yorick ! », Gambetta — alors qu’il était question d’une autre amnistie — tenant en sa main la tête de Rochefort et méditant sur le crâne à barbiche et à toupet. Seulement, cette fois, c’est Yorick qui interroge le masque toujours vivant d’Hamlet : la face d’énigme à barbe blonde, dont la tempe est forée d’un invisible trou…

On applaudit. C’est terminé. M. Aubry devait prononcer un discours, mais M. Aubry est trop ému. C’est M. Deneuvillers qui le lit à sa place. Et tout le monde s’en va.