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NOTES D’UNE FRONDEUSE

— Madame demande ?

Je me retourne, avec le sursaut des gens surpris. Et, le plus gentiment possible :

M. Ranc, Madame, s’il vous plaît ?

La bonne femme a reculé d’un pas, soudain méfiante, la figure assombrie. Les poings aux hanches, elle m’examine… semble me prendre pour Charlotte Corday !

Enfin, après un long silence :

— Il n’y est pas. Il n’y est jamais !

— Vraiment !

— Et puis, me dit cette gardienne austère, il ne reçoit pas de dames !

Une telle hilarité m’empoigne que j’en perds un peu la tête. Et je crie :

— Ça n’est pas pour ça que je viens ! tandis que les larmes du fou rire m’emplissent les yeux.

— Ah ! fait-elle, soulagée.

— Non, c’est pour un prisonnier ; une affaire politique de la plus haute importance.

J’ai bien dit cela, « de la plus haute importance »… avec la bouche en chose de poule, et un clin d’œil significatif qui la fait ma complice ; la met dans la confidence ; lui donne cette illusion qu’elle « en est ».

Flattée, elle livre passage.

— Enfin, allez tout de même ! Mais vous lui direz bien que ce n’est pas de ma faute.

— Oui. Où est-ce ? Au premier ?

— Non. Au dernier !

Je grimpe, je grimpe, le long du vaste escalier, de lumière empli. Ce n’est pas la solennité des paliers de Pot-Bouille, mais une majesté de bon aloi, grave et