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NOTES D’UNE FRONDEUSE

ancestrale, qui se dégage des pierres du vieil édifice.

Je ne ris plus — d’abord, parce qu’au fur et à mesure que je me rapproche, mon trac augmente ; ensuite, parce que je songe, le long de cette rampe qu’on peut gravir à cheval, aux aïeux célèbres ou obscurs qui, de leurs semelles, en usèrent les degrés.

Ces maisons-là, c’est comme si on lisait du Michelet !

J’ai eu beau ralentir, m’y voici quand même ; tout en haut, sous les toits, car le lambris se mansarde.

Sous les toits ? Hé ! oui ; comme les gueux de Béranger — et comme Jenny l’ouvrière ! Pourtant, il serait ministre, celui-là… s’il voulait !

Je sonne, avec un léger battement de cœur. On n’ouvre pas ; déjà, ma lâcheté se réjouit, à l’idée que je vais éviter l’épreuve ; fuir sans affronter la colère, la terrible colère de Thraséas !

Fi !

Je resonne. Des pas étouffés longent la cloison ; « on marche dans le mur ! » comme dit Angelo, tyran de Padoue. Puis un furtif glissement contre la porte — paupière de judas qui se relève, ou monocle de serrure qui pivote !

Je me sens dévisagée ; et ne sais plus que devenir.

Un bruit de chaîne qu’on tire ; l’huis s’entrebâille, un coin de barbe et le quart d’un œil dépassent la ligne verticale du battant… Misère de moi, c’est Thraséas en personne !

Et le petit Chaperon rouge, le petit Bonnet rouge plutôt, entre chez le loup dévorant de l’opportunisme !

Il ne m’a point croquée. Cela tient sans doute à ce que — le redoutant beaucoup, mais l’estimant encore